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Killer Queen

  Et d’un coup, ils se sont mis au garde à vous. Soldats fiables, qui ne tremblent pas quand il faut se dresser. Je les ai senti les u...

samedi 3 novembre 2018

Killer Queen

 

Et d’un coup, ils se sont mis au garde à vous.
Soldats fiables, qui ne tremblent pas quand il faut se dresser.
Je les ai senti les uns après les autres, de mon poignet au coude. S’élever. Défier la gravité.
Ils se sont tous éveillés quand l’émotion a claironné. Ils étaient prêts. Il ne leur a fallu que quelques minutes. Ma nuque n’était pas en reste. Le frisson s’est propagé. Délicieusement, de la naissance de mes cheveux en suivant ma colonne vertébrale pour s’éteindre dans le creux de mes reins.



Un plan serré. On le suit. Il se prépare, se lève, prend son café, enjambe ses chats, enfile ses lunettes d’aviateur. Il sort. Mes poils n’ont fait qu’un tour. Mon sang lui s’est figé. Et je crois bien avoir retenu mon souffle tout du long.

Freddy. Mercury.

Aujourd’hui j’ai vu Bohemian Rhapsody et comme toute midinette qui se respecte j’ai été conquise. Comment ne pas l’être ?

Oui bien sûr, la coupe de cheveux. Les dents. Ces dents. Mais ce sourire ! Ce charisme…

Rami Malek a abandonné sa tenue de geek autiste pour emprunter celle de l’entertainer le plus connu de la fin du XXème siècle.
 Il est magistral. Touchant, pathétique, brillant, drôle. Il est Freddy Mercury.

Alors ce film a des défauts. Sûrement. C’est linéaire, on suit le parcours du chanteur de Queen, ses débuts, ses dérapages, sa consécration. C'est cousu de fil doré, pailleté.

Allen Leech est fade et ne m’a pas convaincu.

Mais si on arrête deux minutes de nous prendre pour des pro de la post production. Si on accepte les règles et qu’on suit le rythme… Regardez-moi dans les yeux et dites-moi que vous n’avez rien ressenti ? Que vous n’avez pas ri quand le coq a lancé son Galileo ?
Que vous n’avez pas frémi quand il a écrit Bohemian Rhapsody ? Que nous n’avez pas senti vos yeux humides en voyant cette foule démesurée pendue à ses lèvres, à son déhanché, à sa stature désormais légendaire. Le point levé, Freddy Mercury a défié la société, sa famille, son éducation.
Laissez vos préjugés, vos critiques à l'entrée. On est entre nous. Ce groupe, c'était une révolution. Ce type, c'était une bombe. Sexy à souhait, beau imparfait, une voix à se damner, une sensibilité qui se fragilise, qui nous fait respirer. Et cette audace. Insolente.

Il s’est laissé exister. Démesurément. Il en est mort, d'ailleurs.

Est-ce que comme moi vous vous êtes sentis petits, minuscules, négligeables ?  C’est un génie. Au présent. Car il continue de m’émerveiller et de me faire soupirer. Il ne connaît pas de concurrence. Qui aujourd'hui se permet de telles irrévérences ? Citez-moi un seul mec qui pourrait porter un débardeur sans se couvrir de ridicule ?

Vous rendez-vous compte que ce type mal peigné qui aurait dû consulter un orthodontiste avant la puberté a écrit les plus grands tubes des années 70 et 80 ? Que ces mêmes tubes continuent à être entonnés chaque soir dans bon nombre de bars de par le monde. Que les nouvelles générations l’ont adopté comme un des leurs, qu’il a traversé le temps, les modes. Qu’il a su rallier à sa cause à peu  près tout le monde qui avait une radio ? Rocker et diva, sensible et déjanté.
God... que j’aurais aimé vivre un concert de Queen.

Et je n'étais pas la seule midinette dans la salle. Cinéma parisien, salle immense et pleine à craquer. Les lumières à peine éteintes, on pouvait presque toucher l'électricité dans l'air. Oh oui... nous étions prêts à ne pas voir le temps passer, et à sourire, ressentir, pleurer. Nous étions prêts.
Comme un seul homme, un seul cœur, nous avons ri ensemble, nous nous sommes tus d'émotion ensemble. Et quand le générique de fin a sonné le glas de ce surplus de vie, ils ont été si nombreux à applaudir, à remercier.

Moi je ne sais pas vous, mais c'est pour ça que j'aime le cinéma. Pour vivre par procuration, pour ressentir plus fort ce que la vie me donne avec trop de parcimonie. Pour m'oublier et me souvenir qui je suis ensuite. Souvent comme une gifle. Une piqûre de rappel.
Et la possibilité de changer de perspective.

Moi non plus je ne veux pas mourir. Mais parfois moi aussi j'aurais préféré de ne pas naître du tout.
Mais qu'il aurait été dommage de ne pas avoir la chance de vibrer comme ça. Finalement, n'est-ce pas l'unique leçon : la vie ça ne se réfléchit pas, ça se vit. Point. Parce qu'après, c'est fini.
On n'est pas obligé de la brûler par les deux bouts. Mais on se doit de ne pas oublier qu'on n'est pas là pour attendre, pour observer. On se doit d'expérimenter et de mettre à mal nos sens, notre cœur. Aimons, bordel. Et chantons. Pleurons. Dansons. Ramassons-nous. N'oublions pas les erreurs. Ni de nous remettre en selle.
Ignorez le monde. Soyez le monde.


mardi 5 juin 2018

Jeu, set et match

Et c'est reparti.
Ballotées dans notre cylindre en plastique. Encore une fois.
Tu vas voir qu'on va encore être de service aujourd'hui. D'ailleurs je n'ai pas la moindre idée du jour qu'on est. Ni quel mois.
Avec les copines, on a fini par perdre le compte. On a aussi arrêté d'échanger. On se cantonne à être cognées l'une contre l'autre, contre l'autre, contre l'autre. A nous effleurer de nos poils jaunes color block.
On suit le mouvement, pas le choix.

Ha. On dirait qu'on ouvre le sac. Ouh ça éblouit ça ! Doucement mec ! On est des petites choses fragiles nous... Tu préfères qu'on y voit clair avant qu'on s'élance ou qu'on soit aveugles. T'imagines ? Paf dans la tête de Nelson ! Haha. J'adore me faire ce film. Je le reconnais, j'ai des pensées pécheresses parfois.

Oh mais attends voir. On n'est pas à l'entrainement là. Je ne reconnais pas le ciel, et je ne vois pas la haie habituelle. Des gradins, et encore des gradins.
Bon Dieu on est où cette fois...
Non... ne me dites pas qu'on y est ? C'est déjà la nouvelle édition ?!
Dire que l'année dernière j'ai attendu tout le tournoi qu'on vienne me chercher. En vain. J'avais été oubliée au fond d'un sac de sport avec les potes.
Mais on dirait que cette année, on va goûter l'air du Chatrier.

Ça y est, je commence à ventiler.

Je suis partagée entre l'excitation et la crainte. Qui va me toucher ? Me soupeser ? M'apprécier ou me recaler en me balançant sans état d'âme à un ramasseur de fond de court ?
Qui va me serrer fort en priant et en me communiquant toute sa force, sa détermination ? Et parfois sa rage ?
Avec qui vais-je faire équipe ?

Déjà les noms défilent dans ma caboche jaune poussin. Novak ? Rafa ? Gaël ? Lucas ? Kei ? Fabio ? Dominic ? John ?
Entre nous j'ai mes préférences.
Ce n'est pas très fair play mais ne soyons pas hypocrites, on a toutes notre chouchou.
Je me souviens ce 29 Janvier, en 2017. Quand on a gagné avec Roger. C'était moi. A l'époque je n'avais pas voulu en faire des caisses. Je démarrais dans le métier, la concurrence était rude. J'avais failli être recalée à la sélection à cause d'une blondinette à peine plus neuve que moi.
Finalement Blondie était restée au fond de la poche du short et il m'avait brandie. Déjà je le savais. C'était mon moment. Et c'était mon premier. On n'oublie jamais sa première fois.

Depuis j'ai pas mal voyagé. J'ai fait quelques entraînements. Mais globalement j'ai passé mon temps à ruminer ma victoire dans ma boîte. J'étouffais. J'ai encore tant de choses à donner.

Alors là imaginez un peu...
Je vais jouer à Roland Garros.
The tournoi.
J'ai toujours eu un faible pour les grands chelems. Enfin de ce que j'ai pu entendre, on a plus de chances de participer. Plus de joueurs, plus de munitions. On ne m'avait pas menti.
Nous y voilà.

Et visiblement je ne suis pas seule. Les gradins se sont remplis - ce n'est pas le célèbre court, je suis déçue. J'ai à peine eu le temps de vérifier mon apparence que déjà je suis happée par une main. Ni une ni deux, je suis propulsée. Je fends l'air parisien pour atterrir dans une main d'homme. Pas de doute. J'ai affaire à un mâle. Il me soupèse. Il me tâte. Je n'aime pas trop ce contact un peu vicieux. Et puis il ne me regarde pas. Il me juge et finit par se décider.

Je vais donc lancer ce 3ème tour.

Je ne sais toujours pas à qui je dois cette mise en lumière et déjà je m'envole, je flirte avec le zénith et me prends un prodigieux coup de cordes tendues. Le son est mat et je frôle la perte de conscience. J'atterris en face et juste avant d'être renvoyée, j'entre-aperçois le grand malade qui m'a bousculé. J'en étais sûre. Il n'y a qu'un espagnol pour donner le ton de la sorte. Fernando mon ami, il va falloir te détendre.
Je m'accroche et tiens le cap malgré tout. A tel point que je vais revenir souvent pendant ce match. Je ne le clôture pas mais j'en suis bien aise. Les boulets de canon : très peu pour moi !
Fernando remporte cette rencontre, mais je ne le félicite pas.
De toutes façons je suis déjà ramassée et rangée dans une boîte, une nouvelle. Je ne connais pas mes voisines. Elles ont l'air aussi hébété que moi. Pourvu qu'on nous laisse nous reposer avant de nous ressortir.
Et pitié, donnez-nous un joueur délicat.
Je sais bien que mon Roger n'est pas là. Mais il reste quelques gentlemen, j'en suis sûre.

La nuit revient sur ma fourrure et me permet de débrieffer. Je n'étais pas mal mais il faut absolument que je perde cette tendance au faux rebond. C'est plus fort que moi, je suis taquine. Mais je vais finir dans le filet un jour. Et ça, on le sait toutes, le filet c'est la retraite assurée.

Le temps ne passe pas. Je trépigne. Je suis à deux doigts de m'éjecter. Décidément mes collègues manquent de conversation. J'ai envie de rouler quelque part pour voir ce qu'il se passe en coulisses.
Ha ben je crois que j'ai été entendue ! Nous revoilà soulevées de terre.
J'entends une clameur inattendue. On nous pose sur une chaise et on nous libère. Suzanne-Lenglen, nous voilà !

Je suis toujours dans le sac mais j'entends que le match a commencé. Ça sonne pas mal, un peu hésitant. Ça râle pas mal aussi. Tiens ça râle en français. Remarquez, je n'en attends pas moins d'eux.
Je m'endors un peu, pis j'ai froid. Le temps se gâte et les premières gouttes tombent. A tous les coups je vais finir aux vestiaires sans avoir foulé la terre battue. Ça m'évitera de me salir. Je préfère rester impeccable, histoire d'être toujours prête.
Ha ben tiens, qu'est-ce que je disais : il pleut, match interrompu. De ce que je comprends, ça tombe plutôt bien. Le français a une sale mine, on dirait bien... ha mais oui. Il vomit. Pauvre chaton. Jouer dans cet état...
Bon ben on verra bien demain s'il est sur pied.

Quoi déjà ? Ha mais je faisais un rêve génial avec... oui bon ok ok doucement ! Ha oui carrément je n'ai même pas le temps de me repeigner que tu m'entraînes sur le court. Vas-y fais voir ta frimousse qu'on rigole.
Bon. Ça n'a pas l'air mieux mon Gaël... Tu as les mains moites. Si on pouvait faire ça vite ça m'arrangerait. Allez écoute, on fait ce qu'on peut d'accord ? Une balle après l'autre. Toi et moi. Un bon petit ace et on n'en parle plus.
Bon ok. Un premier service raté ça marche aussi.
Je suis encore là. Dans ta main.
Je sens que tu vas tergiverser toi... Voilà un truc qui m'exaspère. Tu réfléchis mais tu le fais mal. Tu me regardes sans me voir. Tu penses que me faire rebondir va faire basculer la tendance. Tu uses juste mes nerfs, mec. Lâche-toi.
Allez. On se lance. Je te jure que - cette fois - je le passe le filet.

Et je le passe.
Mais en face, le belge ne manque pas de répartie.
Ça se bagarre gentiment, même un moment j'y ai cru. Pas longtemps. Mais assez pour vibrer.

Puis tu m'as renvoyé au ramasseur, drôlement gentil ce petit gars. Il m'a gardé précieusement dans sa mimine avant de me ranger délicatement dans ma nouvelle maison. Je l'aime bien lui.

Bon enfin moi qui rêvais de faire mes premiers pas sur le Chatrier dans les mains du fabuleux Nadal...
Je sais bien que je devrais m'estimer heureuse. Faire Roland Garros, c'est un rêve inaccessible pour quasiment toutes les collègues. Même une fois qu'on nous a tatoué pour l'occasion, qu'on arbore fièrement nos nouvelles initiales, on n'est pas assuré de faire mouche. Encore moins smash.

Je tourne en rond. Je fais mes estimations. Peut être que demain je serai dans des mains manucurées. Je n'ai pas l'habitude de jouer entre femmes. Etonnamment j'ai toujours préféré la compagnie des hommes.

Revoilà les cris et les olas. Je sens qu'on est attendu. Inexplicablement je sens monter en moi une certaine appréhension. La fermeture éclair s'ouvre, je suis éblouie par le soleil. Dans l'intervalle je vois Fernando et je découvre que je connais plein de prières. Alors je les psalmodie avec toute la ferveur du condamné à mort. Mais mon heure n'a pas encore sonné apparemment car je suis soigneusement triée et élue.

J'atterris dans un short. Je ne sais pas chez qui mais je suis bien. Et j'y reste un moment. Apparemment le public aime mon actuel propriétaire. Du coup moi aussi. Je patiente, bercée par ces aller-retours incessants. Il a de grandes jambes celui-là et il sait s'en servir.
Je suis presque émoustillée.
C'est gênant, ce n'est pas le moment.
Allez allez on reste concentrée.
Si mes calculs sont bons, on est en 8ème de finale, ce n'est pas le moment de faire son français (pardon pour eux).

Finalement il me prend. Il est ferme mais ne manque pas de douceur. Je sens qu'il va savoir me parler. On ne m'a jamais envoyé en l'air avec autant de doigté. J'exulte au moment où sa raquette m'envoie titiller l'espagnol. Ça va me donner le recul nécessaire pour... mais c'est Novak !
Je joue avec le serbe !
Je pourrai mourir je crois.
J'étais sûre qu'il me plairait. Je vais m'appliquer tu vas voir, Novak. Tu vas être fière de moi, tu ne pourras plus te passer de moi. Laisse-moi juste te faire gagner et à nous deux le saladier !

(et on a gagné)